Bab Sebta désigne en arabe Ceuta, enclave ibérique située
au Maroc, face à l’Espagne. Littéralement, la Porte de Ceuta. « Passer »
cette porte signifie pour beaucoup de gens entrer en Europe. De cette singularité géographique, souvent médiatisée,  Randa Maroufi en retient l’économie induite et les rapports de pouvoirs qui s’y révèlent dans la complexité de la politique migratoire européenne. Les petits transits frontaliers en tous genres et plus ou moins légaux s’y déploient le long d’une frontière figurée par une surface plane à la théâtralité assumée (on pense au film Dogville de Lars Von Trier pour le dénuement du décor qui permet de se concentrer sur la précision de la reconstitution des gestes humains) . Le film hypnotique utilise souvent une caméra surplombant la situation, comme un hélicoptère de cartographes glissant précisément le long de cette frontière mais se transformant souvent en drone de surveillance, indiquant les espaces, soulignant les distributions administratives et pratiques, dessinant avec les corps des mouvements plastiques étonnants. Randa Maroufi reconstitue en de longs plans lancinants les interminables files d’attentes, certains s’affairent là à la préparation de ballots ventrus et colorés, ici à la dissimulation de denrées ou encore soumis au contrôle. Défilent biscuits, électroménager, vêtements pliés, roulés, empilés, marchandises bariolées de toutes sortes et toujours plus de personnes et de groupes que nous ne verrons jamais de près. Autant d’événements réunis en un lieu unique, déployés en une fresque fourmillante, que l’on suit gestes après gestes. Cette rigoureuse chorégraphie des corps et des mouvements individuels et collectifs, nourrie en off de récits documentaires diffractés, de passeurs, de douaniers ou d’annonces policières, relatant trafics, ruses et astuces, laisse deviner peu à peu les drames qui ne seront pas représentés.